Déserts numériques et déserts médicaux

15 avril 2018 0 Par Philippe Raybaudi

Il y a un certain temps que je redoute que la fibre optique ne réglera pas la question de l’engorgement des réseaux numériques, puisqu’il est clair qu’à chaque avancée technologique (en matière d’Internet ou de téléphonie mobile), l’augmentation de la bande passante a été immédiatement compensé par l’accroissement exponentiel des besoins (applications toujours plus gourmandes, développement du Cloud et des sauvegardes externalisées, streaming vidéo, jeux en ligne, chat et partage d’informations multimédias…)

Si on ne légifère pas sur les usages dédiés à l’enseignement, à la recherche, à la santé, au télétravail et aux entreprises (à minima) en réservant de la bande passante (et/ou des créneaux horaires) – sans pour autant voir apparaître des forfaits « professionnels » à des tarifs inacceptables (c’est semble t-il la tendance marketing d’Orange avec ses abonnement « Pro » qui n’assurent généralement pas plus d’assistance – ou de bande passante – que les forfaits low-cost d’autres opérateurs) – on ne pourra pas déployer à moindre coût des services de télémédecine ou des usages partagés et communautaires permettant à des entreprises (ou à des professionnels télétravailleurs) d’envisager de s’implanter sur des territoires éloignés des grandes agglomérations ou difficiles sur le plan des contraintes du terrain et du manque d’infrastructures.

Je le vis quotidiennement alors que je travaille en haute montagne entouré de plusieurs relais de transmission numérique qui font l’objet, trop peu souvent, de mises à niveau technique. Elles n’arrivent pourtant pas à empêcher les coupures régulières de services (téléphone et data) lors des pointes de consommation (généralement entre 16h30 et 23h00) ; et je ne parle pas des périodes de vacances scolaires (et de forte affluence touristique) où l’on peut passer plusieurs jours sans pouvoir travailler.

La capacité des systèmes n’est pas une fin en soit ! il faut limiter le débit des « usages non prioritaires » et s’attacher à enrayer le phénomène du spam qui grignote inutilement des ressources.

La fibre optique verra se multiplier les gaspillages au même rythme que l’augmentation de la bande passante et il faut trouver un moyen pour endiguer les usages ludiques non indispensables au développement des services ou à l’économie. Une sorte de « label » qui permettrait aux utilisateurs considérés comme faisant un usage « sérieux » de la ressource (en respectant un cahier des charges « éthique ») d’accéder à un niveau qui maintiendrait un minimum de bande passante sans surcoût. C’est une des solutions qui permettrait de faciliter la transformation numérique des entreprises et de gagner du terrain sur les zones blanches et grises.

Si on laisse les opérateurs agir seuls (sans plus de contrôles), nous prendrons encore plus de retard par rapport aux pays émergents qui savent sauter les étapes intermédiaires en déployant prioritairement les dernières technologies de communication.

Quand on voit que notre opérateur historique empêche le déploiement de la 5G parce qu’il souhaite continuer à « amortir » ses infrastructures (y compris celles qui sont largement obsolètes comme le réseau filaire RTC) on a de quoi se poser des questions ! Beaucoup pensent que les actionnaires se sont suffisamment rémunérés sur des utilisateurs qui payent trop cher des services archaïques et des SAV minimalistes. L’histoire du Minitel, qui a freiné le déploiement d’Internet, ou la gabegie des ordinateurs Thomson dans les écoles ne servent visiblement toujours pas de leçons.

J’ai lu que le déploiement national de la Fibre coûterait 35 milliards* ! Il faut espérer que cela ne sera pas pour voir l’Asie ou l’Afrique nous manger la laine sur le dos ! d’autant plus qu’au bout du compte, il est probable que la dépense dépassera les 70 milliards (comme le disent déjà certains spécialistes)

Je regarde régulièrement les interventions sur ces questions à l’Assemblée Nationale, mais je crains que le poids des enjeux financiers des opérateurs ne laissent aucun doute sur notre avenir ! J’aimerais pourtant qu’il en soit autrement…

  • *Rapport de la Cours des Comptes du 31 janvier 2017